4€ 19e année N°110 MARS - AVRIL 2011
Langue
et naturalisation
Henri
Goldman nous a autorisés à reproduire son blog du 22 janvier
2011. Même si le contexte belge est particulier, les questions
que
H. Goldman soulève sont générales et méritent
débat. N’hésitez pas à nous faire part de vos réactions.
Une
décision de la commission des naturalisations
Un
nouveau conflit communautaire vient de surgir en Belgique. Il s’est manifesté
à propos d’un critère de connaissance linguistique dont la
commission des naturalisations de la Chambre des représentants devrait
tenir compte dans l’examen des demandes qui lui sont soumises. Une courte
majorité, principalement flamande, l’a emporté, par 9 voix
contre 8, pour exiger du demandeur qu’il puisse démontrer des efforts
suffisants à apprendre la langue de la région dans laquelle
il vit.
Demander
un effort pour apprendre la langue de ses voisins, c’est très modéré
dans l’expression et ça ne me semble pas excessif comme critère.
Mais là n’est pas le problème.
Car
le vote qui vient d’être émis est purement symbolique, et
c’est d’ailleurs pour cette raison, si j’ai bien compris, que certains
s’y sont opposés.
C’est
la loi qui fixe les conditions nécessaires pour l’octroi de la nationalité
belge par la voie de la naturalisation. Il revient à la commission
ad hoc de la Chambre d’interpréter ces conditions au cas par cas.
Mais elle n’a sûrement pas le droit d’ajouter de son propre chef
de nouveaux critères. Ce vote aura donc et surtout été
l’occasion d’une posture politique sur un thème que certains jugent
porteur dans une Europe de plus en plus travaillée par la thématique
de l’identité nationale.
Or,
pour le moment, la loi ne prévoit aucun critère linguistique
pour l’octroi de la nationalité belge par la procédure de
la naturalisation. Depuis 2007, une majorité s’est engagée
pour introduire le critère de la connaissance d’une des trois langues
nationales.
Cette
proposition est en ce moment en discussion en commission de la Justice,
après quoi elle passera devant les chambres. Le critère «
langue
de la région » n’est donc pas pertinent.
La
pertinence du critère linguistique
Mais
au-delà de la péripétie, cette question mérite
une réflexion. Je suis pour ma part un chaud partisan du critère
linguistique en matière d’acquisition de la nationalité.
Pour comprendre ce point de vue que certains jugeront peut-être abusif,
il ne faut pas perdre de vue que peu de droits spécifiques dérivent
de la qualité Belge. Celle-ci ne peut de toute façon être
attribuée qu’à des résidents étrangers disposant
d’un titre de séjour de longue durée(1). Ce titre de séjour
permet de se revendiquer d’un statut européen qui protège
leur liberté de circulation et leur assure tous droits économiques
et sociaux. Seules différences notoires : l’accès à
la fonction publique statutaire leur est largement interdit (quoique de
moins en moins) et leur droits politiques sont limités au droit
de vote aux élections communales. Par ailleurs, leur délai
de présence sur le territoire leur aura déjà généralement
permis d’acquérir des compétences linguistiques dans la langue
de leur résidence.
Si
on met de côté la dimension symbolique, l’intérêt
d’être Belge réside surtout dans le plein exercice des droits
politiques. Mais pour pouvoir décider ensemble, il faut d’abord
pouvoir délibérer ensemble, la délibération
étant une condition indispensable à l’exercice de la démocratie.
Ceci induit la capacité de tous les citoyens relevant d’un même
espace politique de pouvoir échanger des arguments, ce qui ne peut
se faire qu’à travers une langue partagée.
Difficulté
en pays multilingue
C’est
ici qu’intervient la difficulté propre de tout pays multilingue.
Sauf exception qui me serait inconnue, on n’y reconnaît pas les sous-nationalités.
Alors qu’un Belge qui s’installerait en France resterait Belge, un Wallon
qui s’installerait en Flandre cesserait d’être administrativement
wallon et serait considéré comme flamand du jour au lendemain.
Il aurait alors le droit – et même l’obligation – de voter à
toutes les élections... alors que, s’il est unilingue francophone,
il serait dans l’incapacité de participer à la délibération
collective en néerlandais, seule langue qui sera utilisée
pendant les campagnes électorales de son nouveau lieu de résidence.
Et comme personne ne propose encore d’introduire de sous-nationalités
en Belgique (2), on ne voit qu’une seule manière de sortir de cette
impasse : imposer le bilinguisme à tous les Belges comme pré
condition à l’exercice des droits politiques. Qui ose ?
Bref,
la question qui a fait débat à la commission des naturalisations
est impossible à surmonter. Et pourtant, il y a bien là un
problème démocratique : des citoyens d’un même espace
politique devraient autant que possible pouvoir se comprendre si on veut
éviter la consolidation de niches ethniques étanches en son
sein. C’est pourquoi il est tellement important qu’existe une offre suffisante
et attrayante d’apprentissage de la langue de la région, soutenue
par des campagnes valorisant le vivre ensemble et l’intérêt
de tous à cet apprentissage. Celui-ci serait d’ailleurs accessible
à tous les résidents, indépendamment de leur nationalité
ou de leur statut de séjour. La loi ne devrait pas imposer ce qui
irait alors de soi. Il me semble que la Flandre fait déjà
beaucoup dans ce sens, même si les files d’attente des formations
en « néerlandais langue seconde » sont souvent longues.
Je ne suis pas sûr qu’un même effort existe dans l’autre communauté.
Henri
Goldman
Rédacteur
en chef de Politique, revue de
débats,
68 rue Coenraets, B 1060 Bruxelles,
tél.
02/538 69 96.
1.
Trois ans pour le moment, qui devraient être portés à
cinq ans selon les projets du gouvernement.
2.
Impensable et impraticable de toute façon à cause de l’existence
de la Région bilingue de Bruxelles
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