La citoyenneté européenne et les conséquences dun éventuel Brexit
Danièle Lochak
Professeur émérite de droit
La question est, si les Anglais veulent garder leur droit de vote après le Brexit : faudra-t-il changer la constitution ou garderont-ils le droit de vote ?
La réponse à la question est simple, cest non.
Jen profite pour faire un petit cours de droit constitutionnel, de droit politico-constitutionnel.
Avant Maastricht, il y avait la Constitution, et la Constitution dit : « Sont électeurs les Français des deux sexes qui nont pas été privés de leurs droits civiques. » La Constitution dans son article 3 réserve la qualité délecteur aux nationaux français. Donc on peut dire que la question est réglée, si on veut accorder le droit de vote aux étrangers, il faut forcément changer la Constitution juridique. Je rappelle que cest une question qui sest posée avant même que le traité de Maastricht oblige à y réfléchir, elle sétait déjà posée parce que tous ceux qui plaidaient pour le droit de vote se la posaient.
On a limpression que la question est réglée, mais pas forcément parce que larticle 3, figure dans un titre qui sappelle « De la souveraineté ». Or, les constitutionnalistes sont daccord pour dire que la souveraineté nest pas en cause au niveau local. Il y a longtemps, quand la Ligue des droits de lhomme nous avait demandé, à Jean-Michel Bellorgey, Henri Leclercq et moi, de préparer une proposition de loi, on sétait quand même souvenus, que les électeurs, les élus municipaux participent à la désignation des sénateurs, ça ne nous avait pas échappé.
Donc on sétait dit « daccord », il ne faut pas quils puissent siéger dans ce que lon appelle « les grands électeurs », cest-à-dire ceux qui vont participer à lélection du Sénat. On avait trouvé le biais, on avait dit : sil y a des élus étrangers dans le conseil municipal, et bien, on va utiliser ce qui existe déjà, puisque vous savez sans doute que pour les élections sénatoriales, quand vous avez une grande commune, elle a le droit non seulement à ses élus municipaux mais aussi à désigner des électeurs en plus. Donc on sest dit, sil y a des élus étrangers dans les conseils municipaux, quà cela ne tienne, on les mettra de côté et on les remplacera selon ce système qui existe déjà. Cétait une façon de voir.
Alors évidemment, il y a une façon plus puriste de voir les choses. Et cest celle quà utilisée le Conseil constitutionnel : le Sénat est élu au suffrage universel au second degré, et lorsque vous mettez dans lurne votre bulletin pour élire vos conseillers municipaux, vous nen avez peut-être pas conscience, mais vous êtes en train de voter pour les sénateurs, donc vous participez à lexpression de la souveraineté nationale.
Ma conviction est que si lon avait instauré le droit de vote en 1981, comme ça figurait dans les 110 propositions du candidat Mitterrand, le Conseil Constitutionnel aurait laissé passer la loi, parce quon était dans le fameux état de grâce, et que le Conseil Constitutionnel suit un peu lair du temps. Ça ne sest pas produit. Quand la question sest reposée, cest avec Maastricht. Il laisse instituer une citoyenneté de lUnion, qui exige le droit de vote aux élections locales.
Donc le traité de Maastricht ouvre une brèche, et je dirais que tous les acteurs ont conjugué leurs efforts pour que subsiste lexclusion des ressortissants des Etats tiers.
Le premier acte sest joué devant le Conseil Constitutionnel, et celui-là a retenu une interprétation stricte de la Constitution. Il devait dire si la ratification de traité de Maastricht supposait une réforme de la Constitution. Il dit « oui », suivant le raisonnement que je viens de faire, celui qui dit quen votant pour les représentants, pour les élus municipaux, on vote en même temps pour le Sénat. Ce qui est intéressant quand même, cest que le Conseil Constitutionnel sest fondé sur le mode délection des sénateurs. Donc je dirais que lobstacle ne vient pas du droit de vote donné aux étrangers aux élections locales, mais du mode délection du Sénat. Alors vous me direz que pour quon modifie le mode délection du Sénat, de leau aura encore plus coulé sous les ponts que pour accorder le droit de vote... enfin, on peut faire les paris.
Mais ce qui est intéressant, cest quici, le Conseil constitutionnel a adopté un raisonnement différent de celui des cours constitutionnelles allemande et autrichienne. Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, lorsquun Lander a accordé le droit de vote aux étrangers, a dit : « Non, pas possible, parce que le droit de vote même au niveau de la commune ou du quartier, cest toujours le peuple allemand qui sexprime aux élections, et ce peuple ne peut être composé que de nationaux allemands et vous avez donc une seule citoyenneté. »
Le Conseil constitutionnel français na pas dit ça, et les opposants au droit de vote ne sy sont pas trompés, donc il y avait là une brèche potentielle ouverte.
Le deuxième acte sest joué au moment de la révision constitutionnelle. Dès lors que cette révision était inévitable, on aurait pu opter pour une rédaction de larticle 3 qui aurait précisé que la condition de nationalité simpose pour les seules élections nationales. Puis on aurait modifié le code électoral en donnant le droit de vote, disons, aux citoyens de lUnion. Alors évidemment, ça nimpliquait pas que lon donne le droit de vote à tout le monde. Mais, le jour où on aurait décidé de le donner à tout le monde, au moins, lobstacle constitutionnel aurait été levé. Vous le savez, ça nest pas cette option qui a été choisie puisquon a laissé larticle 3 en létat. Et on a ajouté tout à la fin un article 88-3 « sous réserve de réciprocité », mais là cest bidon parce que du coup la réciprocité est automatique puisque tous les Etats membres doivent donner le droit de vote aux Français et réciproquement. Donc « sous réserve de réciprocité », mais cétait pour montrer que cétait dans un contexte bien précis. Et, selon les modalités prévues par le traité de Maastricht, le droit de vote et déligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de lUnion résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer des fonctions de maire ou dadjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à lélection des sénateurs.
Effectivement, ils ne peuvent pas eux-mêmes être dans le fameux « grand collège », mais ils ne peuvent même pas désigner les grands électeurs supplémentaires quand il doit y en avoir. Donc vraiment le minimum. Vous pouvez à la rigueur, si vous êtes électeur, siéger dans un conseil municipal, mais cest tout. Vous ne pouvez pas être élu maire, les départements on nen parle pas, les régions non plus. Et on a même poussé la chose plus loin, par la suite, pour les référendums locaux, qui pourtant nont aucune valeur contraignante. Au moment où Jospin était Premier ministre, quand on a créé le référendum communal comme une arme de démocratie locale, le premier projet ciblait « les habitants » et le deuxième projet adopté « ceux qui sont sur les listes électorales ». Donc même les étrangers non communautaires ne peuvent pas y participer.
Je ne sais pas si ça vaut la peine de parler des projets de réforme constitutionnelle, de celui qui a été voté dans un premier temps en 2000 par lAssemblée nationale et dans un deuxième temps en 2011 par le Sénat. Ils disaient que cet article 3 ne concernait que les élections nationales.
Vous le savez, voyant ça, beaucoup de maires ont décidé de créer des conseillers municipaux associés, avec un système qui pouvait varier, mais là, il sagissait de les faire élire. Ils étaient véritablement élus, pas comme dans dautres systèmes. Et ils pouvaient participer aux conseils municipaux. Bien entendu, ils nétaient pas censés voter, mais ils participaient, ils étaient là, ils pouvaient sexprimer, et au moment du vote ils ne votaient pas. Et bien, même ça a été censuré par le Conseil dEtat. Donc vous voyez que ça a été quand même extrêmement loin. On estimait quun conseil municipal ne pouvait pas modifier les conditions de fonctionnement de lassemblée municipale telles quelles sont fixées par la loi. Et pourtant on avait pris toutes les précautions, on suspendait les séances.
Enfin je navais pas besoin de tout ça, pour dire que je ne vois pas très bien comment les Britanniques pourraient conserver les droits de vote et déligibilité aux élections municipales en cas de Brexit. Après il vous reste la possibilité de demander la nationalité française, et je suis sûre que pour le coup vous laurez sans problème. Et modifier la Constitution, on ne va pas la modifier juste pour les Britanniques.